D’abord il y a eu Greta venant de Suède en train pour ne plus avoir à prendre l’avion. Puis les Gilets Jaunes en France ont réclamé plus de justice fiscale dans la mobilité, s’en prenant ouvertement à l’aérien. Et enfin des discussions au plus haut niveau gouvernemental (aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, etc.) ont émergé pour remettre sur la table le vieux serpent de mer de la fiscalité sur le kérosène. Ce qui a notamment débouché en France sur une proposition d’écotaxe aérienne.
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Dans ce contexte pour le moins agité, la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, a annoncé que la compagnie nationale allait compenser, à partir du 1er janvier 2020, 100 % des émissions de CO2 de ses vols domestiques [1][2]. Cela représente 500 vols par jour… et environ 3,5 millions de tonnes de CO2 chaque année (combustion seule).
Selon la DG, « [Air France va] financer des projets de plantation d'arbres, de protection de forêts, de transition énergétique ou encore de sauvegarde de la biodiversité. Cela pourrait correspondre, par exemple, à planter l'équivalent de 70 millions d'arbres. ».
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rien ne contraint Air France à s’engager dans ce dispositif. Ni la réglementation, ni même le prochain mécanisme de marché CORSIA s’appliquant au secteur au 1er janvier 2021… pour les vols internationaux uniquement. En ce sens, cette décision mérite donc d’être saluée, d’autant plus qu’Air France ne fait assurément pas partie des compagnies les plus rentables sur le marché.
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au regard de l’enjeu de neutralité carbone globale de l’activité humaine d’ici 30 à 40 ans, seuls deux leviers constituent notre salut : la réduction drastique de nos émissions d’une part et l’accroissement de la séquestration physique et pérenne du carbone résiduel d’autre part. L’un n’allant pas sans l’autre, comme le GIEC le rappelle avec insistance.
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La compagnie devrait à cet égard ne se sourcer qu’en crédits issus de projets de puits réels et additionnels de carbone, tels que des plantations de forêts sur terres dégradées ou de développement de systèmes agroforestiers (toujours sur terres dégradées), par exemple. Bien que ces projets n’apporteront jamais de compensation littérale des émissions au sens physique du terme (à cause du temps que les arbres mettent à pousser, du fait des incendies, des maladies : voir l’excellent article d’Alain Karsenty, du CIRAD, au sujet de Total et des forêts [4], ils contribueront à séquestrer du carbone en plus, tout en améliorant les conditions de vie localement.
En tous cas, oubliés les crédits REDD+ à l’intégrité climatique insuffisante !
Le secteur n'a pas de stratégie à la hauteur de l'enjeu
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la compensation ne doit en aucun cas occulter la question fondamentale qui ne concerne d’ailleurs pas qu’Air France, mais tout le secteur aérien : comment réduire par 2 en absolu les émissions de CO2 de l’aviation entre 2005 et 2050 ? C’est non seulement un engagement collectif (supporté par ICAO et IATA), mais aussi le bon ordre de grandeur pour que la trajectoire des émissions du secteur soit compatible avec la neutralité carbone de nos activités à l’échelle globale.
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cette contradiction portée par la croissance n’est pas l’apanage de l’aviation, mais traverse à peu près tous les secteurs économiques
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intégrer toute tentative de neutralité dans une approche qui dépasse l’entreprise, à l’échelle territoriale par exemple. Dans le cas d’Air France, la bonne question à se poser devrait plutôt être : « comment je fais pour être un contributeur actif à la neutralité de la France à l’horizon 2050 ? ». Et la réponse ne serait pas forcément la même que celle apportée aujourd’hui par la compagnie.
C’est pourquoi nous recommandons à Air France d’adopter dès maintenant une sémantique différente, en passant de « compensation carbone » (synonyme d’annulation des émissions, ce qui est inexact) à « contribution à la neutralité ».