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Ce qui a fait l’originalité et la force du mouvement dans sa phase ascendante, à savoir sa rupture avec de nombreux a priori théoriques et des pratiques ritualisées au point d’en être compassées, se transforme en faiblesse dans la phase descendante où ne transparaît plus que son instabilité, son manque d’organisation et sa difficulté à reprendre l’initiative, à surprendre à nouveau. Au point que pour perdurer il en est prêt à abandonner sa singularité historique pour se mouler dans des formes de médiations qui sont elles-mêmes en crise. Quand le « mouvement social » officiel n’est plus capable de faire 1995, certains Gilets jaunes pensent le réussir et en plus voient cela comme une panacée alors que tout ce système reposait encore sur la centralité du travail dans le processus de valorisation du capital d’une part ; et la définition des rapports sociaux d’autre part à partir de cette même centralité (salariés/non-salariés, cotisations/prestations).
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Cette difficulté propre à notre période d’après la lutte des classes, fait que partout aujourd’hui, on assiste à une résurrection de la notion de peuple. Dans l’histoire de la modernité, le peuple se veut un tout qui est la négation des contradictions de classes en tant que celles-ci ne seraient qu’une addition d’intérêts particuliers. C’est ce qui est à la base de l’opposition entre bourgeois et « bras-nus » pendant la Révolution française pour reprendre la terminologie de Daniel Guérin… et en même temps de leur unité dans l’idée de « la patrie en danger » de 1792 qui doit souder le peuple devenu corps social de la Nation. Dans cette vision, c’est le peuple qui subit tous les torts. Il est l’intérêt général fait peuple contre les ennemis de l’extérieur (émigrés aristocrates, puissances impériales et royales de l’étranger). Les fascismes reprendront cette image du peuple-totalité contre des ennemis « intérieurs » mais étrangers à la nation et à la race (juifs, francs-maçons, tziganes, homosexuels). Elle est à la base des théories de Carl Schmitt sur l’État d’exception qui délimite les « frontières » entre amis et ennemis. Mais pour en revenir aux thèses révolutionnaires nées de la Révolution française, Marx rompt avec cette idée d’un peuple-totalité dans une thèse critique sur Hegel (in Contribution à la critique de la philosophie du droit) où il renverse la dialectique hégélienne pour faire d’une classe, le prolétariat, la classe-totalité, parce qu’elle ne subirait aucun tort particulier dans la mesure où elle les subit tous. C’est cette totalité potentielle alors pourtant qu’elle n’est immédiatement qu’une classe particulière qui la rend justement classe-révolutionnaire par excellence, ou plus exactement classe de la révolution.
Sans la connaître expressément, c’est cette thèse que reprennent les Gilets jaunes en proclamant l’état d’urgence sociale de la part d’une nouvelle totalité populaire subissant un tort général au-delà des torts particuliers que subit chacune de ses fractions. Un nouveau « tout » donc, sans détermination historique ni essence messianique, mais basé sur l’idée plus ou moins communément partagée que tout va de mal en pis, que la situation devient insupportable et que les dominants, quels qu’ils soient (représentants politiques, capitalistes et riches) n’en ont cure.
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