Au printemps 2006, à l'occasion des 20 ans de sa mort, les femmes du monde entier rendent hommage à la mémoire de Simone de Beauvoir. Dans ce dernier épisode, Philippe Collin ausculte son testament.
Avec
Pascal Ory Historien, spécialiste d’histoire culturelle, membre de l’Académie française
François Noudelmann Philosophe
Michelle Perrot Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l'Université Paris Cité
Manon Garcia Philosophe, Junior Fellow à la Society of Fellows de l’Université de Harvard
Christophe Charle Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Sylvie Chaperon Professeure d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Jean Jaurès. Membre senior de l’Institut Universitaire de France
En Palestine ou au Québec, au Japon ou en Argentine, au XXIᵉ siècle, Beauvoir est devenue une icône mondiale, modèle d'émancipation. Elle a laissé derrière elle une œuvre vivante.
Son épopée fut grandiose. Elle a mené sa vie comme elle aurait aimé qu'on la raconte dans un roman. C'est une prouesse. Beauvoir, c'est ce parcours initiatique décliné au féminin et une quête de liberté offerte à tous. C'est sans aucun doute son legs le plus précieux. Que vous soyez une femme ou un homme d'ailleurs, d'outre-tombe Beauvoir vous murmure cette petite phrase : inventez votre vie.
Longtemps le lieutenant de Sartre, elle le dépasse aujourd'hui dans nos mémoires.
L'héritage de Simone de Beauvoir
On retient bien sûr d'elle Le Deuxième Sexe, texte essentiel pour le féminisme. Selon François Noudelmann, philosophe, il n'y aurait pas de pensée du genre, de Judith Butler, de quantités de féministes d'aujourd'hui s'il n'y avait pas eu Beauvoir. Ensuite, philosophiquement, c'est un des grands textes de l'existentialisme, avec toute cette réflexion sur l'existence, sur l'émancipation.
Simone de Beauvoir nous aide à penser le temps présent, le nôtre, entre autres parce qu'elle serait la mère du genre, même si elle n'employait pas ce mot à l'époque. Pour Michelle Perrot, historienne, ce que disait Simone de Beauvoir quand elle dit : "On ne naît pas femme, on le devient", c'était l'idée que le féminin et le masculin sont construits aussi par la culture, par l'histoire et qu'on peut les déconstruire.
Beaucoup de choses qu'elles avaient écrites dans Le Deuxième Sexe résonnent avec des événements d'aujourd'hui. Il nous semble presque aujourd'hui que Le Deuxième sexe annonçait aussi le mouvement MeToo, qui a provoqué un véritable séisme international en jetant une lumière crue sur les violences sexuelles.
Simone de Beauvoir, une source d'inspiration
Simone de Beauvoir est morte en 1986. Elle est donc une femme du siècle dernier, ce qui pourrait laisser penser que ses théories ne sont plus d'actualité. Mais elle nous a ouvert la voie et demeure une source d'inspiration.
Pour illustration, dans le grand mouvement de rébellion en Iran débuté en septembre 2022, l'approche de Beauvoir est inspirante. La jeunesse iranienne, souvent au péril de sa vie, se révolte contre l'oppression tyrannique du pouvoir religieux et politique. Et cette jeunesse a fait surgir l'image de Simone de Beauvoir. Ainsi sur les réseaux sociaux, en 2023, la jeunesse iranienne en colère se place sous l'égide de cette intellectuelle française du XXᵉ siècle. Au cœur de la révolte du peuple iranien se niche l'esprit de Simone de Beauvoir, perçue comme un modèle d'émancipation, avec un message en creux : "Ne laisse personne décider à ta place, prends ta vie en main." C'est à cela qu'on reconnaît une œuvre vivante. 40 ans après sa mort, Beauvoir irrigue encore les contestations.
Intervenants
Pascal Ory, Professeur émérite à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l’Académie française, spécialiste d’histoire culturelle
François Noudelmann, philosophe, écrivain, professeur à la New York University, auteur de « Un tout autre Sartre » (Gallimard, 2020)
Michelle Perrot, Professeure émérite d'histoire contemporaine à Université Paris Cité, codirectrice de “Histoire des femmes en Occident” (Perrin), “Les Femmes ou les silences de l’histoire”(Flammarion), “Le Temps des féminismes” (Grasset, 2023)
Manon Garcia, philosophe, écrivaine, professeure de philosophie à la Freie Universität de Berlin, autrice de « On ne naît pas soumise, on le devient » (Flammarion) et de « La Conversation des sexes, philosophie du consentement » (Flammarion)
Christophe Charle, Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Panthéon-Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Histoire moderne et contemporain.
Sylvie Chaperon, Professeure d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Jean Jaurès. Spécialiste d’histoire des femmes, du genre, de l’histoire des mouvements de femmes, autrice de « Les années Beauvoir, 1945-1970 » (Fayard, 2000)